Du Mont-Liban aux Appalaches

Paysage typique du Mont-Liban, 1920-1930. Source inconnue.
Paysage typique du Mont-Liban, 1920-1930. Source inconnue.

Depuis quelques mois, les médias nous entretiennent abondamment de toutes les misères vécues par les Syriens. La guerre qui déchire ce pays du Proche-Orient et qui éjecte chaque jour des milliers d’hommes et de femmes de leur terre natale en plus de faire de nombreuses victimes, est un drame abominable. La crise syrienne et la vaste émigration qui en résulte, m’amènent aujourd’hui à aborder d’un point de vue historique la venue de syriens au Québec au début des années 1900. Étudions l’épopée des syriens immigrés dans la vallée du St-Laurent au siècle dernier à travers le cas de Pierre Simony, ressortissant du Bilad al-Sham établi sur la Côte-de-Gaspé.

Mont-Liban

Asronn, petit hameau du Mont Liban, aurait vu naître Pierre Simony le 28 décembre 1871. À cette époque, la Syrie telle qu’on la connait aujourd’hui n’existe pas. Le Liban non plus. Ces entités territoriales faisaient alors partie du Bilad al-Sham ou « Grande Syrie », qui comprenait aussi la Jordanie, Israël, la Palestine et une infime portion de la Turquie. La région du Mont-Liban est alors une subdivision autonome de l’Empire Ottoman où vivent, non sans heurts, deux grandes communautés religieuses ; les Musulmans (Druzes) et les Chrétiens (Maronites, Grec-melchites, Orthodoxes…). Pierre Simony appartient au deuxième groupe, il serait catholique de rite maronite.

Peu d’informations nous parviennent de son enfance et de son adolescence en Syrie. Du moins, les sources à notre disposition demeurent muettes sur cette partie de la vie de Simony. Nous savons qu’il aurait épousé en première noce une certaine Mary Rolier, ou Robier, et que le couple aurait mis une monde une fille prénommée Marie. Où, quand ? Nous ne le savons pas. Était-ce en Syrie ou ailleurs, en transit vers l’Amérique ? Qu’est-il arrivé d’elles ? Chose certaine, nous savons que Pierre Simony débarque au Québec entre 1900 et 1907, tel que l’indiquent les recensements de 1911 et 1921.

Recensement du Canada, 1921. Fiche familiale de Pierre Simony.
Recensement du Canada, 1921. Fiche familiale de Pierre Simony.

Appalaches

De son Mont-Liban natal, Pierre Simony finira par aboutir dans un petit village niché au bord des Appalaches, non pas sans avoir bourlingué quelques temps ailleurs au Québec. L’émigration de Simony s’inscrit dans une vague migratoire qui amena quelques milliers de syriens au Québec à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ces derniers fuyaient pour la plupart les difficultés économiques et l’incertitude politique. À cet effet, un article publié sur le portail du Centre d’histoire de Montréal à propos de la communauté syrienne-libanaise nous en apprend davantage sur ces migrants qui ont dû débourser beaucoup d’argent pour traverser la Méditerranée puis l’Atlantique avant de s’installer à Montréal ou à Québec.

À son arrivée en Amérique, Pierre Simony pratiquait comme plusieurs de ses compatriotes le métier de colporteur. Sans porter quelconque connotation péjorative, le colporteur du temps était plutôt un marchand ambulant, un commis voyageur. Les syriens étaient si nombreux à pratiquer ce métier qu’ils furent à l’origine d’une expression utilisée massivement chez les québécois : « le syrien s’en vient », pour faire référence au colporteur frappant de porte en porte pour vendre sa marchandise. Se limitant d’abord aux grands centres, les colporteurs syriens élargiront tôt ou tard leur rayon commercial aux régions plus éloignées, allant « de village en village et d’une ferme à l’autre, à pied ou en charrette à cheval, avec des valises et des sacs remplis de menus articles : boutons, épingles, fils, ciseaux, dentelles, tissus, bas, stylos, objets religieux, etc. »1. Ainsi, dès 1910, « des familles d’origine syrienne sont établies à Mont-Joli, La Pocatière, Saint-Michel-des-Saints, Rouyn, Trois-Rivières, Sherbrooke »2 et même Cloridorme, où se fixa définitivement notre protagoniste.

Mariage et vie en Gaspésie 

Familiarisé avec la langue de Molière (et même avec celle de Shakespeare) par le biais de ses occupations professionnelles, Pierre Simony, veuf depuis nous ne savons combien d’années, se mis à fréquenter une canadienne-française rencontrée lors d’un de ses voyages d’affaires dans l’Est québécois. C’est aux Chlorydormes au courant de la première décennie des années 1900 que Simony croisa le chemin d’Eugénie Gaumond, veuve d’Adelme Marticotte et mère de huit enfants. Après une période de fréquentations obligée par les bonnes moeurs du temps, Pierre et Eugénie s’unissent le 5 juillet 1910 à Ste-Cécile-de-Cloridorme après dispense de deux bans.

Acte de mariage de Pierre Simony et d'Eugénie Gaumond. Source : Registres du Fonds Drouin, Cloridorme, 1910, huitième feuillet. ©Institut généalogique Drouin.
Acte de mariage de Pierre Simony et d’Eugénie Gaumond. Source : Registres du Fonds Drouin, Cloridorme, 1910, huitième feuillet. ©Institut généalogique Drouin.

De son union avec la veuve Marticotte naquirent 4 enfants :

  1. Rita Marguerite, mariée à Robert Coulombe en première noce, puis à Aimé Ste-Marie;
  2. Joseph Charles Auguste, marié à Rose-Aimée Huet;
  3. Irène Eugénie, morte en bas âge;
  4. Jean-Marie Guillaume, marié à Anne-Marie Coulombe.
Carte mortuaire d'Eugénie Gaumond, épouse de Pierre Simony.
Carte mortuaire d’Eugénie Gaumond, épouse de Pierre Simony.

Ayant remisé son chariot et ses malles de commis voyageur, Pierre Simony demeura dans le giron du commerce au détail et devint marchand général au Petit-Chlorydorme, ce qui l’occupa le reste de sa vie. À l’âge de la retraite, Pierre laissa le commerce aux soins de son fils Joseph qui continua à opérer l’entreprise familiale bon nombre d’années3.

Des nouvelles de la famille

Nous ne croyons pas que Simony eut l’opportunité de revoir le pays qui l’a vu naître. Toutefois, il eut la chance de renouer avec certains membres de sa famille grâce au concours de Pierre-Marie Gagné, prêtre curé de Cloridorme de 1917 à 1930. Ce dernier effectua un voyage en Terre Sainte qui l’amena à visiter plusieurs contrées du Bassin méditerranéen et du Proche-Orient, dont le Mont-Liban. Le mardi 8 avril 1930, peu de temps après être débarqué à Beyrouth, Pierre-Marie Gagné prend la route des montagnes pour aller voir les cèdres bibliques et surtout, pour rendre visite aux parents de Pierre Simony. Voici un extrait des lettres de voyage du curé Gagné :

Après beaucoup de recherches et de pourparlers, je réussis à trouver la grand’mère, une soeur veuve et un frère marié de mon Pierre Simony. C’est une grande joie mutuelle pour ces bons amis et pour moi-même. Je couche dans une hôtellerie après une visite au vieux curé maronite et aux parents de mon paroissien4.

Pierre-Marie Gagné
Pierre-Marie Gagné, curé de Cloridorme de 1917 à 1930.

Après l’expédition qui le mena jusqu’à Jérusalem, le prêtre revint à Cloridorme avec deux rameaux de cèdres mais surtout, avec des nouvelles fraîches pour Pierre Simony. Imaginons comment il a dû se sentir en apprenant que sa soeur, son frère et sa grand-mère allaient bien, trente ans après les avoir quittés !

Maison et magasin général de Pierre Simony à Cloridorme. Source : Municipalité de Cloridorme.
Maison et magasin général de Pierre Simony à Cloridorme. Source : Municipalité de Cloridorme.

Pierre Simony, un des immigrants ayant contribué à la grande diversité ethnique et culturelle de la Gaspésie, est décédé le 19 octobre 1957 à l’âge de 85 ans. À l’instar de nombreux syriens qui aujourd’hui s’éloignent des affres de la guerre, Pierre Simony a laissé derrière lui les bouleversements sociaux, économiques et politiques de son pays pour aspirer à une vie meilleure en Amérique. Quittant son Mont-Liban pour une autre chaîne de montagnes, il aura trouvé refuge au creux des Appalaches. Une montagne reste une montagne, peu importe où on se  trouve dans le monde…

Sources

1 Centre d’Histoire de Montréal, Depuis longtemps – La communauté syrienne-libanaise à Montréal de 1882 à 1940.
2 Idem.
3 Municipalité de Cloridorme, Patrimoine bâti et architectural du village.
4 Pierre-Marie Gagné, « Lettre de voyage – suite », La Voix de Gaspé, vol. 2, no. 19, 30 juillet 1930, p. 1.

3 commentaires sur « Du Mont-Liban aux Appalaches »

  1. C’était mon arrière grand-père à moi aussi merci beaucoup pour cette magnifique recherche j’ai 51 ans et je viens de découvrir une page de mon histoire quel plaisir

    1. Bonjour Mme Simony,

      Heureux de vous avoir fait découvrir quelque pans de votre histoire familiale. Le texte sera publié dans la prochaine édition du Magazine Gaspésie.

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